Parmi les vagues
Tout
l’été, j’ai entendu mon père me demander quand je viendrais le voir.
Évidemment, mis à part les faits, que je n’ai pas d’auto, qu’il habite à une
heure de train, que je travaille toute la semaine, que mon copain est malade et
que nous avons eu tout l’été, des visites de la famille et de quelques amis… il
y a aussi le fait que je n’apprécie pas particulièrement sa nouvelle relation
amoureuse – pas plus la relation que l’objet de sa relation – qui ont contribué
à faire que je n’ai pas rendu visite bien souvent à mon père ces derniers mois.
Il
ne cessait de me dire… « Vous pouvez venir ici, à la plage, passer la fin
de semaine… ». Car, il faut souligner que lorsque ce nouvel appartement
fut acheté, il le fut principalement parce qu’il était situé à 20 minutes de
marche de la plage. Mon père étant un fou de la plage et de la baignade. Mes
plus beaux souvenirs d’enfance étant les journées à la plage – en Espagne, à
Old Orchard, à Carillon, à Plattsburg, au lac Massawippi… Il a toujours adoré
se baigner et la mer Méditerranée a toujours eu une place importante dans son
cœur !!! Les années dernières – nos premières années en Espagne – il se rendit
souvent à la plage. Avec ma sœur, avec moi et mon copain, avec son neveu, avec
sa famille, avec ses amis. Il adore la plage.
Et
puis, il a rencontré cette femme. Il habite maintenant avec elle dans cet
appartement choisi avant que l’on apprenne l’existence de celle-ci et choisi
principalement pour sa localisation – ainsi que son prix. Parfait logis pour
une personne habitant seule et aimant la plage. Mais voilà qu’il n’est plus
seul.
Alors
qu’il me demandait, pour la centième fois, quand je viendrais le visiter en
insistant que je pourrais aller à la plage en même temps, je lui demandai combien
de fois il était, lui, aller à la plage cet été. Et lui, de me répondre, qu’il
n’était pas encore allé à la plage. Mais pourquoi, je lui demande, très, très, très
surprise. Et mon père de me répondre : « oh, tu sais, je n’aime pas
ça tant que ça aller à la plage ». Hein, pardon ??? Depuis quand ??? Que
je réussis à demander. « Je n’ai jamais aimé ça », fut sa réponse. Je
n’en revenais juste pas. Mon père qui non seulement me dit qu’il n’aime pas
aller à la plage, mais qui me dit qu’il n’a jamais aimé aller se baigner. C’est
très bizarre, complètement incroyable.
Et
puis, un matin que je devais aller à Calafel – sa fameuse petite ville à une
heure de Barcelone – pour des raisons administratives, je vais prendre un café
rapide avec lui et sa petoune (mon nom non affectueux, pour sa copine - vous
m’excuserez son emploi récurrent dans de futurs textes, mais c’est le seul nom
que j’ai trouvé qui était potentiellement acceptable). Alors que je suis seule
avec la petoune en question, elle m’apprend qu’elle n’aime pas du tout aller à
la plage… elle n’a jamais aimé et de plus, ne supporte pas le soleil. Et donc,
je comprends…
Mais
tout de même incroyable qu’à la veille de ses 70 ans, un homme décide qu’il n’a
jamais aimé quelque chose parce que sa petoune n’aime pas ça. Enfin… c’est son
choix. Mais il n’était pas dit que je ferais pas quelque chose… c’est aussi mon
choix. Et donc, un certain dimanche, mon ami et moi, nous partons pour Calafel.
La veille, j’avais téléphoné mon père, lui disant que nous venions le lendemain
et que nous allions à la plage. Que je savais qu’elle n’aimait pas la plage
mais qu’elle n’était pas obligée de venir, juste lui… nous reviendrions plus
tard pour la voir… Il n’a donc pas eu le choix.
Le
matin, nous arrivons, après un bonjour rapide, nous partons tous les trois pour
la plage. On s’installe dans un coin tranquille. Il fait soleil, il vente
légèrement et il y a de belles grosses vagues. Mon copain et moi, on va dans
l’eau. Elle est légèrement froide en entrant mais devient rapidement un beau
25º C. Il fait à peu près la même température dans l’eau que sur la plage. Les
vagues sont très belles, avec quelques une très grosses de temps en temps. Il
n’y a pas de méduses et l’eau est claire.
Après
quelques instants, mon copain retourne sur la plage. Mon père s’avance vers
l’eau. Même sans mes lunettes et même si je suis loin de lui, je peux voir la
joie sur son visage. Il s’approche tranquillement. Quelques vagues viennent lui
frapper les cuisses. Elles sont encore froides… il recule en éclatant de rire…
« c’est glacé » qu’il me dit avec un gros sourire. Il avance à
nouveau, en riant « brrr, brrr » qu’il fait. Il décide de se lancer.
Il émerge à côté de moi, en riant. Ses yeux sont scintillants. On commence à
parler tout en sautant dans les vagues. L’eau n’est plus froide. Il se retourne
et est renversé par une grosse vague qu’il n’a pas vu venir. Il éclate à
nouveau de rire. J’ai presque envie de
pleurer tellement il semble heureux.
Je
retourne sur la plage. Il reste dans l’eau. Seul. À courir après les vagues, à
me faire des signes de la main. Il fait la planche. Et éclate de rire à chaque
vague un peu plus forte. Il revient sur la plage et se jette sur la serviette.
« Il y a de belles vagues », me dit-il toujours aussi souriant. Je
lui mentionne qu’il peut revenir se baigner, seul. Il habite tout à côté… il
n’a pas besoin de rester longtemps… « Juste venir faire une petite
saucette ». « Je vais revenir, c’est certain » me dit-il les
yeux toujours aussi brillants.
La
semaine dernière, je lui ai demandé s’il était retourné à la plage.
« Trois fois » me répond-il avec un splendide sourire. « Et tout
seul, comme un grand ». J’ai dû retenir mes larmes.