Le moment captif d'un dimanche : fuite
"Les pieds : les chers souffrants" [Antoine Baudeau de Somaize]
Un matin, je me suis réveillée et ils n'étaient plus là. Les yeux encore ensommeillés, j'ai cru que je me trompais. Mais j'avais beau frotter mes paupières, je ne les voyais pas.
J'ai alors cru que mes yeux me jouaient des tours. Ça leurs arrive. Ils aiment bien me faire voir des choses qui ne sont pas là. Alors pourquoi ne me feraient-ils pas croire qu'il n'y a que du vide là où il devrait y avoir quelque chose ? Mais j'avais beau remuer dans tous les sens, je ne les sentais pas non plus.
Un matin, je me suis réveillée et mes pieds s'étaient enfuis. Je dois avouer que je n'étais pas surprise. Je suppose qu'ils en ont eu assez. Ils devaient en parler depuis des années, mais ils n'osaient pas partir. Ils avaient un travail à faire. Mais on a tous ses limites, non ?
Ils en ont eu marre. "Assez", se sont-ils dit. "Ça va faire, les souliers trop hauts, trop petits, qui frottent partout." "Ça suffit, les cornes, les ampoules, le sable sous les ongles, les orteils heurtés sur les pieds de tables, les talons trop secs, les plantes de pieds qui n'en peuvent plus d'être debouts sur la pointe des pieds. Tu nous entends ?, ont-ils crié, en vain. "Tu te rends compte que l'ongle de tes petites orteils sont pratiquement inexistants, tu t'imagines ! Et que ces mêmes orteils semblent ondulés dans tous les sens !", ont-ils soupiré tristement. "Si tu ne fais pas attention, nous te quitterons", m'ont-ils avertis silencieusement.
Et un matin, mes pieds m'ont quittée. Ils ne m'ont pas laissé de note. Rien. Ils se sont levés pendant la nuit et ont pris la fuite. Ils m'ont laissée toute seule. Assise dans mon lit, je ne les blâme pas. Je les comprends. Je savais que cela arriverait un jour. S'ils reviennent, j'en prendrai bien soin. Je le promets !
Bon, maintenant, je dois me lever, moi !!!
"Fuir : prendre son courage à deux pieds" [Alexandre Breffort]