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Quelques pages d'un autre livre ouvert...
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24 février 2015

Point de vue - Suite

019b_1980Je continue... (Voir le premier texte).

Je ne raconterai pas tous les détails. Résumons en disant que R. n'était pas la seule mais était la principale source de mon malheur.

Mais le temps passe et je suis à environ 6 mois de la fin de mon primaire. Pour une raison que j'ignore, notre enseignante avait décidé que nous ferions un grand projet en équipe qui s'étalerait sur plusieurs semaines. Et encore pour une raison inconnue, elle décida de former elle-même les équipes. J'étais horrifiée. J'avais quand même une ou deux copines et quelques enfants avec qui je m'entendais assez bien et voilà que j'étais en équipe avec trois enfants qui me niaisaient régulièrement ou qui m'ignoraient royalement. Il y avait entre autre un garçon, P., qui était le plus populaire de l'école. Vous savez la star. Il était de ceux qui me trouvait insignifiante, nerd, kétaine ; mais, il me trouvait si insignifiante qu'il se faisait un point d'honneur à ne jamais me parler.

Nous commençons notre travail. Tous les jours, nous étions en équipe pour une partie de la journée. Heureusement, ces enfants n'étaient pas les pires et en gros ils étaient finalement bien contents d'être avec la "bol", car je faisais tout le travail. Au fil des jours, j'ai commencé à relaxer. Je m'habituais. Je trouvais les idées, écrivais les textes, mais je parlais le moins possible. En gros je laissais les autres s'amuser, faire des farces, rire et ne rien faire. Mais leurs farces n'étaient pas dirigées vers moi donc je respirais un peu.

Je vous ai déjà dit que R., même si elle régnait sur l'école, faisait quand même un peu peur à tout le 134_1981monde. Je vous rappelle aussi qu'elle était haïtienne. Un jour, nous travaillions en équipe. C'était un vendredi. Je m'en souviens. Il était presque 15h00. La journée et la semaine étaient presque terminées et j'avais hâte de jouer dans ma cour avec mes vraies amies (qui n'allaient pas à la même école que moi). Je me souviens aussi que j'étais fatiguée. Soudainement, nous entendons R. commencer à parler plus fort. Une des petites filles de mon équipe dit qu'elle espérait qu'elle ne ferait pas une "crise". P. dit alors un commentaire raciste qui la traitait de "négresse". Et moi, sans même y penser, j'ai dit : "ce n'est pas une négresse, c'est une tigresse".

Et alors, vous me direz. Mais c.est que les trois se sont mis à rire aux éclats. Et P., le garçon le plus populaire de l'école m'a poussé un peu et dit : "je savais pas que tu pouvais être cool". Il me semble que la cloche a sonné quelques secondes après, mais peut-être pas, c'est flou. Car, la petite solitaire que j'étais, a tellement été heureuse de se faire traiter de "cool" par le gars le plus cool de l'école que je n'entendais plus rien. Je suis partie chez moi. C'était étrange. Je me sentais déjà coupable d'avoir dit une "méchanceté", mais j'étais tellement heureuse. Et puis, je me suis sentie conne. C'était vraiment des sentiments confus pour la petite fille que j'étais.

Et puis, les semaines suivantes furent différentes. Oh j'avais encore des problèmes et R. me faisait encore la vie dure. Mais P. et ses amis me disaient "allô" quand je passais près d'eux et on m'a un peu laissée tranquille. Parce que vous savez... le gars le plus cool me saluait et me trouvait ok, finalement. Et l'année s'est terminée dans un calme assez nouveau pour moi. Le primaire était fini et j'allais au secondaire. J'ai réussi à sortir de ce cycle... Une autre école, une autre vie. Tout le monde a son chemin. Le mien m'a menée vers de la musique que mes parents ne comprenaient pas et un look qu'ils comprenaient encore moins. Mais ils savaient que j'allais mieux, j'allais bien. Et que j'étais heureuse - bon "plus" heureuse qu'avant. Mais c'est une autre histoire.

Mais l'histoire que je raconte n'est pas terminée.

272_1996J'avais 25 ans. J'habitais en appartement depuis quelques années. Mais je retournais au moins une fois par semaine chez mes parents. Même s'ils n'habitaient plus dans ce quartier, un des trajets en autobus pour aller chez mes parents passait par celui-ci. J'étais assise dans l'autobus. En avant. Je me souviens même de la place. J'avais mes écouteurs et j'étais un peu dans mon monde. Puis, j'ai vu cette fille assise en face de moi me faire des sourires et me faire signe de la main. J'ai enlevé mes écouteurs. Je n'avais aucune idée de qui c'était. Une grande fille noire de mon âge. Je ne la reconnaissais pas du tout. "K. ? C'est toi, K.?", qu'elle me dit. "Heu... oui?", que je réponds. "C'est moi, R. Tu te souviens on a été à Ste-L. ensemble".

Je ne sais pas comment l'exprimer. Mais je me suis sentie mal... Dans un roman, il y aurait une multitude de façons de le dire : mon sang n'a fait qu'un tour, la couleur a quitté mon visage, je suis devenue blanche, etc. ... Je ne sais pas. Mais je sais que je me suis sentie mal et désemparée.

Elle souriait. Je répète : elle souriait. Et elle continuait à parler. Je ne me souviens pas de tout ce qu'elle disait car honnêtement, je ne comprenais pas trop pourquoi elle me parlait. J'entendais des mots... école, ballons, amis, enfance... Et puis, une phrase. Puis, elle s'est levée. "C'est mon arrêt."

Une phrase. Je vais être honnête, je ne me souviens pas des mots exacts. Mais je me souviens parfaitement de ce qu'elle a dit. Elle a dit qu'elle était vraiment heureuse de m'avoir revue. Que j'étais un de ses meilleurs souvenirs du primaire parce que j'étais "fine" contrairement aux autres. Et elle m'a embrassée sur les deux joues avant de descendre. Je ne me souviens même pas si j'ai dit un seul mot. J'imagine que oui. Mais je ne me souviens pas de ce que j'ai pu dire. J'étais comme dans un cauchemar/rêve... Au ralenti.

Je suis arrivée sur mes parents. Et ce n'est que le soir chez moi, que j'ai pu revivre ce moment. Je pense que j'ai pleuré pendant toute la nuit. Et puis, j'ai réalisé des choses :

  • R. était une tof de l'école.
  • R. terrorisait nombre d'enfants, dont moi.
  • R. me ciblait particulièrement et régulièrement. Elle m'a blessée psychologiquement ET physiquement.
  • R. souffrait de terribles crises d'épilepsie qui la stigmatisait, l'isolait, faisait qu'on avait peur d'elle et qui devait la faire horriblement souffrir.
  • Un commentaire stupide et raciste sur R. et dont j'avais honte même à l'époque, a fait que pour les derniers mois de mon primaire, certains enfants qui me "niaisaient" m'ont ensuite trouvée "ok".
  • Pendant un moment, j'ai été vraiment heureuse qu'on me trouve "cool". Même si je savais très bien que c'était parce que j'avais moi-même été méchante envers quelqu'un d'autre.
  • R., des années plus tard, se rappelait de moi comme de quelqu'un qu'elle avait bien aimé au primaire parce que j'étais gentille avec elle. J'étais un bon souvenir de sa vie.

Et donc, rien n'est aussi simple qu'on le pense. Les enfants sont méchants. On ne sait rien de la vie de ces enfants. Parfois rien n'explique et rien n'excuse. Parfois, il y a des nuances.

Si vous vous demandez si j'ai pardonné à R., je vous dirais que non. Et je vous dirais que oui. Elle a été horrible avec moi. (Je répète, ce ne fut pas la seule, mais c'est l'histoire que je raconte). Et je la déteste encore. Mais je lui pardonne. Je la remercie même. Mais quand je repense à ces années qu'elle m'a gâchée, j'ai envie de crier. Mais je sais que cela ne sert à rien.

C'est confus. Je sais. Je rêve parfois à des années de primaire sans toutes ces larmes et tout ce stress. Mais aujourd'hui, je suis celle que je suis à cause et grâce à ces larmes. Ces larmes n'étaient pas nécessaires. Elles n'auraient dû exister. Mais elles ont existé. Mais j'ai compris assez rapidement - dans un sens, parfois inconsciemment - que ce n'était qu'un moment. Des moments. Que j'étais jeune. Que je grandirais. Que je vieillirais. Que je vivrais d'autres choses. Je sais que pour certains, c'est plus long. Mais il faut croire en soi. Croire que ces mots ou même ces gestes sont sans importance ou seront sans importance... éventuellement ... ou plutôt qu'ils perdront l'importance qu'on leur donne.

Je n'ai pas de solution miracle car chaque personne est différente. Et chaque situation est unique. Mais moi, j'ai survécu. Je ne suis pas particulièrement forte. Mais j'aimais trop de choses dans la vie pour abandonner. J'ai pleuré. J'ai détesté la vie. Et j'ai détesté ma vie. Mais j'ai laissé ma vie l'opportunité de m'apporter d'autres souvenirs.

C'est tout. Vous vous demandez peut-être pourquoi j'ai mis tant de photos. Simplement parce que je voulais vous montrer qu'on peut sourire tout de même. Parce qu'on peut sourire et rire quand même. Parce que ma famille a fait toute la différence.

C'est tout. Je ne sais pas trop quoi ajouter. C'est une histoire. Comme une autre.

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Commentaires
L
Tu me fais sourire... oui, je regarde les photos et je me trouve pas si pire que ça :p Mais tu as raison, dans le temps, je me trouvais très laide. Cela ne paraît pas sur les photos, mais j'avais vraiment un duvet très foncé sur le haut de la lèvre et ce fut le point de mire de mon primaire: "La moustache aux cheveux gras...". Ça ne semble pas si méchant, mais j'en ai eu des complexes pendant des années. Enfin... Évidemment, le décolorant et les traitements capillaires furent mes amis dès la fin de mon adolescence. <br /> <br /> <br /> <br /> J'ai choisi cette histoire car elle m'a vraiment bouleversée. Et la revoir à été une expérience assez marquante. Cette rencontre a chamboulé mes émotions, mes perceptions, mes souvenirs. Comme je l'ai dit, je ne lui pardonne rien, mais je ne lui en veux plus. <br /> <br /> <br /> <br /> Et même si j'aurais préféré ne pas vivre ces moments, je dois avouer que j'ai appris de ces expériences et que je serais sûrement une autre personne aujourd'hui. L'important est de passer au travers. <br /> <br /> <br /> <br /> Merci L'Or pour tes mots.
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L
Moi déjà ce que je peux te dire c'est que tu étais une jolie petite fille et que tu sembles penser le contraire (ou plutôt on t'a fait croire le contraire). Tu nous dis que c'est confus, mais bien sûr, revoir cette jeune fille qui t'avait tant fait souffrir et qui avait pourtant un très bon souvenir de toi forcément, ça ne peut être que faire venir de la confusion... En fait ce que tu essaye de dire (enfin je le crois, tu me diras si je me trompe) c'est que cette personne malgré le mal qu'elle t'a fait était finalement humaine donc faillible, comme tout à chacun... En tout cas je suis heureuse (et rassurée aussi) de voir que malgré tout cela tu as faire ta vie, que tu es devenue une personne épanouie et qui a réussi... Peut-être aussi que nos failles (et nos souffrances) nous construisent et font ce que nous sommes (tout comme tu le constate toi aussi). Je t'embrasse très très fort Laila et file voir ton troisième billet
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