Les archives de Pauline : Remue-ménage
J'aime voyager. J'aime les changements. Mais j'aime mon chez-moi. J'aime avoir un endroit que je peux appeler "chez-moi". Avec les années j'ai découvert que cet endroit pouvait se situer n'importe où, dans n'importe quel pays... en autant que je sois entourée des objets que j'aime et qui me sont familiers. Je n'oublie pas les gens non, évidemment. Mais mon logis est important. L'endroit où je me sens en sécurité, où je me sens bien.
Mais autant j'aime les repères de mon foyer, autant j'aime les changements. La routine s'empare rapidement de nous, si on la laisse faire. La routine est rassurante, elle est ce qui me permet de lire un livre engloutie confortablement dans mon sofa préféré. Mais la routine me pèse rapidement. Et alors les choses changent autour de moi... le travail, le pays... changement d'emploi, voyages, changement de pays... Mais pas les gens, pas les objets.
Et parfois, le temps passe et il n'y a pas de changement... le travail continue, le logis demeure au même endroit, et les voyages se font rares. Je me sens alors soupirer. Et la crainte que le quotidien ne devienne routine m'envahit. Et alors, je ressens un immense besoin de tout bousculer dans la maison. Cela m'a pris des années à comprendre ce besoin de chambarder mon logis. De changer d'endroit ce vase bleu, de trouver un nouvel emplacement pour ce miroir, de carrément culbuter les meubles d'un côté à l'autre. De perdre mes repères dimensionnels pour me retrouver dans un nouvel univers entre les mêmes murs et avec les mêmes objets.
Et je me rappelle ma mère. Il arrivait fréquemment que nous revenions de l'école pour trouver le salon complètement transformé. Les meubles avaient changés de place, les plantes envahissaient un nouveau coin et il y avait un cadre en moins, puisqu'il se trouvait maintenant dans le corridor. Trois mois plus tard, la cuisine avait de nouveaux rideaux, la table était à l'autre bout de la pièce et le comptoir présentait le rangement pour épices qui la veille était sur le mur. Et puis, 6 mois plus tard tout changeait à nouveau. Régulièrement, elle venait dans nos chambres et nous demandait ce qu'on voulait changer: le lit sur le mur opposé ? l'armoire en biais ? changer de tapis avec soeurette ?
Je ne me suis jamais questionnée. C'était normal. On changeait la disposition de la maison et c'est tout. Mais pourquoi ? Nous avons longtemps demeuré au même endroit. La même maison. La même rue. Le même quartier. La même ville. Ma mère a peu travaillé. Une grande partie de sa vie fut à la maison. Nous faisions peu de voyages. Puis elle fut de plus en plus incapable de sortir. Ma mère vivait dans son logis. C'était son chez soi.
Mais ma mère aimait sortir et voyager. Elle aurait voulu aller dans des soirées, voir le monde. Parcourir les rues, les villes, les pays. Elle aurait aimé rencontrer des gens, dévaliser les magasins des grandes villes, découvrir les cuisines nouvelles et étranges. Elle rêvait de voyages et d'aventures.
Nous allions visiter la famille, nous allions au parc, au cinéma, au centre d'achat, à la bibliothèque. Et quand son intérieur bouillonnait et cherchait à s'enfuir, elle chambardait sa demeure. Quand son regard s'évadait par la fenêtre, elle déplaçait les objets de son chez-soi. Et un autre intérieur existait pour un moment.
Quand j'ai l'âme qui soupire, je pense à la citation de Vivane Chocas, et à ma mère... et je me réinvente et me recompose en chahutant un peu ces objets qui m'entourent...