La romance du vin de Nelligan
La Romance du vin
Tout se mêle en un vif éclat de gaieté verte
Ô le beau soir de mai ! Tous les oiseaux en chœur,
Ainsi que les espoirs naguère à mon cœur,
Modulent leur prélude à ma croisée ouverte.
Ô le beau soir de mai ! le joyeux soir de mai !
Un orgue au loin éclate en froides mélopées ;
Et les rayons, ainsi que de pourpres épées,
Percent le cœur du jour qui se meurt parfumé.
Je suis gai ! je suis gai ! Dans le cristal qui chante,
Verse, verse le vin ! verse encore et toujours,
Que je puisse oublier la tristesse des jours,
Dans le dédain que j’ai de la foule méchante !
Je suis gai ! je suis gai ! Vive le vin et l’Art !…
J’ai le rêve de faire aussi des vers célèbres,
Des vers qui gémiront les musiques funèbres
Des vents d’automne au loin passant dans le brouillard.
C’est le règne du rire amer et de la rage
De se savoir poète et objet du mépris,
De se savoir un cœur et de n’être compris
Que par le clair de lune et les grands soirs d’orage !
Femmes ! je bois à vous qui riez du chemin
Ou l’Idéal m’appelle en ouvrant ses bras roses ;
Je bois à vous surtout, hommes aux fronts moroses
Qui dédaignez ma vie et repoussez ma main !
Pendant que tout l’azur s’étoile dans la gloire,
Et qu’un rythme s’entonne au renouveau doré,
Sur le jour expirant je n’ai donc pas pleuré,
Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire !
Je suis gai ! je suis gai ! Vive le soir de mai !
Je suis follement gai, sans être pourtant ivre !…
Serait-ce que je suis enfin heureux de vivre ;
Enfin mon cœur est-il guéri d’avoir aimé ?
Les cloches ont chanté ; le vent du soir odore…
Et pendant que le vin ruisselle à joyeux flots,
Je suis gai, si gai, dans mon rire sonore,
Oh ! si gai, que j’ai peur d’éclater en sanglots !
Commentaires
personnels
Nelligan a composé ce poème en réponse à une critique négative de ses
poèmes. La critique ne comprend pas ses poèmes. Il est jeune, déçu, et cherche
à être reconnu. Il compose des vers qui expriment sa tristesse. Il lira La romance du vin lors de la 4e
et dernière séance publique de l’École littéraire auquel il appartenait et qui
eut lieu au château de Ramezay à Montréal. Les poèmes que Nelligan lira lors de
cette soirée, incluant La romance du
vin, seront très bien reçus et ces amis l’acclameront lors de sa
lecture. Nelligan sort triomphant de cette soirée de mai.
De se savoir un poète et
objet de mépris,
De se savoir un cœur et
de n’être pas compris
Que par le clair de lune
et les grands soirs d’orage ! »
Ou l’Idéal m’appelle en ouvrant ses bras roses ;
Je bois à vous surtout, hommes aux fronts moroses
Qui dédaignez ma vie et repoussez ma main ! »
Et qu’un rythme s’entonne au renouveau doré,
Sur le jour expirant je n’ai donc pas pleuré,
Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire ! »
Ô le beau soir de mai ! Tous les oiseaux en chœur, »
Un orgue au loin éclate en froides mélopées ;
Et les rayons, ainsi que de pourpres épées,
Percent le cœur du jour qui se meurt parfumé. »
Les termes se suivent, parfois musique, parfois simples sons. Les choses
sont couleurs, sons, odeurs, … Souvent des termes inattendus qui se placent
sans crier gare un à la suite de l’autre. Évoquant des images imparfaites mais
tenaces.
Je suis gai, si gai, dans mon rire sonore,
Oh ! si gai, que j’ai peur d’éclater en sanglots ! »
Mais la tristesse
de Nelligan semble devenir sa force. Ce qui le pousse à écrire, à vivre. Mais
ce qui semble aussi l’accabler. Son échec va devenir son succès. Il aspire au
succès, mais surtout à la reconnaissance des autres. Comme beaucoup de gens,
comme la plupart des adolescents.
« Serait-ce que je suis enfin heureux de
vivre ;
Enfin mon cœur est-il guéri d’avoir aimé ? »
Il semble le sujet principal du poème. Ou plutôt ses émotions, ses contradictions le sont. Cherchant à faire reconnaître son individualité mais voulant l’approbation des autres. Il est blessé. Veut qu’on le sache. Dire sa haine des autres, mais souligner son besoin de reconnaissance. Il cherche à crier sa rage de vivre. Sa volonté d’être et d’être reconnu comme individu… Il est… « Je suis… » dit-il à répétition.
Voir aussi: