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21 mai 2008

La romance du vin de Nelligan

La Romance du vin

Tout se mêle en un vif éclat de gaieté verte
Ô le beau soir de mai ! Tous les oiseaux en chœur,
Ainsi que les espoirs naguère à mon cœur,
Modulent leur prélude à ma croisée ouverte.

Ô le beau soir de mai ! le joyeux soir de mai !
Un orgue au loin éclate en froides mélopées ;
Et les rayons, ainsi que de pourpres épées,
Percent le cœur du jour qui se meurt parfumé.

Je suis gai ! je suis gai ! Dans le cristal qui chante,
Verse, verse le vin ! verse encore et toujours,
Que je puisse oublier la tristesse des jours,
Dans le dédain que j’ai de la foule méchante !

Je suis gai ! je suis gai ! Vive le vin et l’Art !…
J’ai le rêve de faire aussi des vers célèbres,
Des vers qui gémiront les musiques funèbres
Des vents d’automne au loin passant dans le brouillard.

C’est le règne du rire amer et de la rage
De se savoir poète et objet du mépris,
De se savoir un cœur et de n’être compris
Que par le clair de lune et les grands soirs d’orage !

Femmes ! je bois à vous qui riez du chemin
Ou l’Idéal m’appelle en ouvrant ses bras roses ;
Je bois à vous surtout, hommes aux fronts moroses
Qui dédaignez ma vie et repoussez ma main !

Pendant que tout l’azur s’étoile dans la gloire,
Et qu’un rythme s’entonne au renouveau doré,
Sur le jour expirant je n’ai donc pas pleuré,
Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire !

Je suis gai ! je suis gai ! Vive le soir de mai !
Je suis follement gai, sans être pourtant ivre !…
Serait-ce que je suis enfin heureux de vivre ;
Enfin mon cœur est-il guéri d’avoir aimé ?

Les cloches ont chanté ; le vent du soir odore…
Et pendant que le vin ruisselle à joyeux flots,
Je suis gai, si gai, dans mon rire sonore,
Oh ! si gai, que j’ai peur d’éclater en sanglots !

Commentaires personnels

Nelligan a composé ce poème en réponse à une critique négative de ses poèmes. La critique ne comprend pas ses poèmes. IlVin est jeune, déçu, et cherche à être reconnu. Il compose des vers qui expriment sa tristesse. Il lira La romance du vin lors de la 4e et dernière séance publique de l’École littéraire auquel il appartenait et qui eut lieu au château de Ramezay à Montréal. Les poèmes que Nelligan lira lors de cette soirée, incluant La romance du vin, seront très bien reçus et ces amis l’acclameront lors de sa lecture. Nelligan sort triomphant de cette soirée de mai.

L’ovation que lui font les invités et membres de l’École littéraire se continue jusque dans la rue. Nelligan est acclamé dans la rue du château de Ramezay jusqu’à sa demeure sur la rue Laval. Il devient instantanément un poète reconnue et acclamé. Il connaît le succès. Quelques temps après cette soirée, il est conduit à l’asile pour « folie », « dépression »,… Il ne sortira plus des hôpitaux psychiatriques.

Le poème La romance du vin est considéré comme un cri du cœur du poète. Suite à la critique négative qu’il avait reçu, Nelligan est à la fois triste et enragé, et se considère alors comme un poète incompris. Il utilise des images négatives, sombres, moroses, tragiques. Il se sent persécuté, trahi.

«  C’est le règne du rire amer et de la rage
De se savoir un poète et objet de mépris,
De se savoir un cœur et de n’être pas compris
Que par le clair de lune et les grands soirs d’orage ! »

Emile Nelligan se consacre à la poésie. Il a abandonné ses études, ne poursuit aucune carrière ou emploi… que pourtant son père tente de lui trouver. Il veut vivre de ses poèmes, de l’art. Il veut être connu pour sa poésie.

« J’ai le rêve de faire aussi des vers célèbres »

Ses vers précédents ont été critiqués de façon très négative. Il veut offrir des vers qui le feront connaître et surtout reconnaître comme un poète. Ses amis, les spectateurs, sa ville, tous l’acclament avec ces vers… Le poème est relativement classique dans sa structure. Il comporte 9 quatrains et Nelligan clame, dénonce, contraste et rime.

Ces gens qui l’avaient humilié, qui avait « ri » de lui… aujourd’hui le célèbrent. Dans ce poème, Nelligan cri… il s’exclame constamment… un point d’exclamation qui se répète… Il pointe du doigt la foule qui rie de lui et ne le comprend pas. Et bien sûr, il dénonce aussi. C’est un des objectifs de ce poème.

« Dans le dédain que j’ai de la foule méchante ! »

« Femmes ! je bois à vous qui riez du chemin
Ou l’Idéal m’appelle en ouvrant ses bras roses ;
Je bois à vous surtout, hommes aux fronts moroses
Qui dédaignez ma vie et repoussez ma main ! »

Et Nelligan veut crier qu’ils sont sans importance… qu’il est ivre de la poésie, de l’art… que les commentaires des autres n’ont aucune importance. Il est poète et il entend vivre intensément sa vie d’artiste… quitte à en souffrir…

 « Je suis follement gai, sans être pourtant ivre !… »

Il est triste, mélancolique et dépressif mais aussi euphorique et excité. Il alterne entre la tristesse et la gaieté. Il a peur de l’échec, cherche le succès… ne sais pas comment vivre avec l’un ou l’autre. Il rit et il pleure.

«  Oh ! si gai, que j’ai peur d’éclater en sanglots ! »

Il est jeune. Il vit de passion… finalement comme beaucoup d’adolescents. L’aurait-on traité de fou aujourd’hui ? L’aurait-on enfermé dans un asile ? Probablement pas…

« Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire »

Il oscille entre l’automne et le printemps. Entre ce qu’il considère sombre, mélancolique et ce qu’il voit comme un renouveau, une renaissance… entre la mort et la vie. Il marche dans le brouillard et la lumière. La création semble être ce qu’il croit qui va le sauver. Il cherche un idéal qu’il pense trouver dans la poésie.

« Pendant que tout l’azur s’étoile dans la gloire,
Et qu’un rythme s’entonne au renouveau doré,
Sur le jour expirant je n’ai donc pas pleuré,
Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire ! »

Il y a une certaine gaieté dans le poème… on sent qu’il cherche à convaincre de son ivresse. Comme on peut parfois être heureux… se sentir transporter pour ensuite retomber dans la tristesse.

« Tout se mêle en un vif éclat de gaieté verte
Ô le beau soir de mai ! Tous les oiseaux en chœur, »

Les vers expriment les contradictions de ses émotions. Joyeux, rayonnant, froid et triste…

«  Ô le beau soir de mai ! le joyeux soir de mai !
Un orgue au loin éclate en froides mélopées ;
Et les rayons, ainsi que de pourpres épées,
Percent le cœur du jour qui se meurt parfumé. »


Les termes se suivent, parfois musique, parfois simples sons. Les choses sont couleurs, sons, odeurs, … Souvent des termes inattendus qui se placent sans crier gare un à la suite de l’autre. Évoquant des images imparfaites mais tenaces.

« Tout se mêle en un vif éclat de gaieté verte »

« Je suis gai ! je suis gai ! Dans le cristal qui chante, »

« Percent le cœur du jour qui se meurt parfumé. »

« Ou l’Idéal m’appelle en ouvrant ses bras roses »

« Les cloches ont chanté ; le vent du soir odore… »

Nelligan appelle le vin. Le vin qui enivre mais qui donne aussi la connaissance. On voit les choses d’une façon plus claire mais plus triste. On peut devenir joyeux tout en conservant sa tristesse. Le vin ouvre les yeux et les fait souvent pleurer.

«  Et pendant que le vin ruisselle à joyeux flots,
Je suis gai, si gai, dans mon rire sonore,
Oh ! si gai, que j’ai peur d’éclater en sanglots ! »

Mais la tristesse de Nelligan semble devenir sa force. Ce qui le pousse à écrire, à vivre. Mais ce qui semble aussi l’accabler. Son échec va devenir son succès. Il aspire au succès, mais surtout à la reconnaissance des autres. Comme beaucoup de gens, comme la plupart des adolescents.

Il rage, pleure et est parfois intensément heureux… Et ne sait comment vivre avec toutes ces émotions contradictoires… Contradiction entre son corps, son esprit… ses désirs et ses émotions.

« Serait-ce que je suis enfin heureux de vivre ;
Enfin mon cœur est-il guéri d’avoir aimé ? »

Il semble le sujet principal du poème. Ou plutôt ses émotions, ses contradictions le sont. Cherchant à faire reconnaître son individualité mais voulant l’approbation des autres. Il est blessé. Veut qu’on le sache. Dire sa haine des autres, mais souligner son besoin de reconnaissance. Il cherche à crier sa rage de vivre. Sa volonté d’être et d’être reconnu comme individu… Il est… « Je suis… » dit-il à répétition.


Voir aussi:

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Commentaires
L
Merci M. pour votre commentaire !
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M
se sentir transporter pour ensuite retomber (transporté)<br /> <br /> <br /> <br /> Belle analyse. Les génis ne sont pas souvent reconnus pour mille raisons. Compétition, ignorance, refus, méchanceté, immaturité... <br /> <br /> Qu'il ai été bipolaire ou qu'importe, on a encore du chemin a faire dans le domaine de la santé mentale; mais à son époque... c'étais pas jojo.<br /> <br /> <br /> <br /> Merci
Répondre
L
Je vous remercie de votre commentaire. J'aime bien votre poésie.
Répondre
T
Tout est dit sur les contradictions du poète, elles-mêmes surmontées et dépassées par la magie de l'art.<br /> <br /> Merci beaucoup.<br /> <br /> <br /> <br /> Thierry
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